jeudi 16 juin 2011

Nouvelle donne pour les mouvements sociaux en Europe - AgoraVox le média citoyen

Les plans d’austérité à répétition et la menace de la « contre-révolution silencieuse » de la nouvelle gouvernance économique et du Pacte pour l’euro représentent un défi majeur pour les mouvements sociaux en Europe. Si l’émergence des mobilisations spontanées en Espagne et en Grèce questionne les échecs et impuissances des organisations traditionnelles, elle pourrait contribuer à la radicalisation des luttes syndicales et sociales. Le tout sous fond d’un enterrement sans gloire de la « troisième voie » et du blairisme, dont la crise de la social-démocratie en Europe est une des résultantes...

Dans un article précédent, nous proposions deux enjeux à prendre en compte autour de la question de l’adoption de la nouvelle gouvernance économique et du Pacte pour l’euro.

Le premier concernait le positionnement des partis sociaux-démocrates et verts vis-à-vis de ce nouveau renforcement de l’intégration européenne – au prix d’une généralisation de mesures d’austérité injustes et inefficaces. Jusqu’à présent, le « plus d’Europe » avait toujours justifié toutes les compromissions pour le centre-gauche ; et ce au motif d’une incantatoire « Europe sociale » dont on attendait sans doute qu’elle descende miraculeusement des bureaux des fonctionnaires de la Commission européenne. Nous y reviendrons plus loin.

Le second enjeu concernait le mouvement social européen, et l’émergence d’une véritable mobilisation populaire dans les pays européens. Sur ce point, difficile de s’avouer déçu : le 15 mai débutaient en Espagne les mobilisations des indignados, et qui ont essaimées entre autres en Grèce et au Portugal. Revendiquant une vraie démocratie contre les plans d’austérité dictés par des instances non élues, Union européenne, FMI, les manifestants fustigeaient la corruption et le suivisme du « PPSOE », mélange des initiales des deux principaux partis espagnols.

Par leur ampleur et leur nature tout à fait particulières, ces mobilisations sont riches en questionnements pour les organisations « traditionnelles » du mouvement social. Les syndicats ont particulièrement brillé par leur incapacité à proposer un débouché pour la contestation sociale. Pourtant les impostures de la « sortie de crise » à la sauce UE/FMI (qui se résumerait à peu près par : « les peuples doivent payer, pas les banquiers ») ont porté à son apogée l’indignation populaire.

Faiblesses des mouvements sociaux en Europe

En France, la frilosité des syndicats s’est traduite en 2009, puis en 2010 (à des moments où l’opinion était pourtant particulièrement favorable, comme ce fut le cas lors des mobilisations contre la réforme des retraites) par l’invention d’une nouvelle « norme » de mobilisation : la « journée d’action », avec à la clé de sympathiques promenades dans les rues des villes françaises. Des ballades qui contrastaient notamment avec les actions menées en Guadeloupe par le LKP, sur la base d’un syndicalisme de terrain… et de lutte [1].

En Grèce et en Espagne, les syndicats et organisations politiques traditionnelles ont été écartées des mobilisations récentes. Non que leurs militants n’y participent pas à titre individuel. Mais le discrédit est tel à leur égard – en raison de leur incapacité à s’opposer aux politiques d’austérité, leur corruption ou encore leur proximité vis-à-vis des partis politiques – que la plupart des mouvements spontanés s’accordent pour ne pas s’adresser à eux.

Pour ce qui est du mouvement social « alternatif », et notamment le mouvement altermondialiste, le bilan est en demie-teinte : d’années en années, les grandes manifestations du mouvement altermondialiste semblent par ailleurs perdre leur assise populaire. A l’échelle européenne, le forum social européen, dont le processus a débuté en 2002 à Florence, n’a jamais vraiment dépassé le statut de forum d’échange informel entre organisations, ni permis de jeter les bases d’un véritable mouvement social européen.

Néanmoins, en Espagne comme en Grèce, les manifestants se sont largement emparés des slogans et revendications du mouvement altermondialiste. En témoigne, entre autres, le mot d’ordre de la mobilisation du 15 mai en Espagne : « nous ne sommes pas des marchandises aux mains des banquiers et des politiciens ».

Une nouvelle donne ?

Le développement de mesures d’austérité brutales en Europe semble cependant à même de changer cette donne. Les gouvernements européens, à travers le « Pacte pour l’euro », initialement « Pacte de compétitivité », ont en effet offert aux mouvements sociaux en Europe un symbole fort d’un nouvel ordre européen, à la fois anti-démocratique et anti-social.

« Ce n’est pas une crise, c’est une escroquerie » pouvait-on lire sur les pancartes à Madrid. Le Pacte pour l’euro symbolise de manière idéale cette escroquerie, qui impose sans la moindre discussion au débat démocratique la mise en œuvre de plans d’ajustement violents. Des plans tout droit sortis de la vieille boîte à outil du FMI, qui déjà prouvé combien ils étaient injustes (en faisant payer les pots cassés de la crise aux populations) et inefficace (en perpétuant la récession économique).

Qu’il s’agisse des mouvements spontanés ou altermondialistes, le Pacte pour l’euro fait l’unanimité contre lui. Ainsi le mouvement des « indignés » espagnols a-t-il choisi de placer la journée de mobilisation nationale du 19 juin sous le signe de la contestation de ce pacte [2]. Les organisations du forum social européen se sont quant à elles accordées le 31 mai, à l’occasion d’une conférence dédiée à la question de la crise en Europe, à travailler de manière prioritaire sur la question.

Last but not least, les plans des gouvernements européens et de la commission ont-ils contribué à un réveil des syndicats européens, dont certains s’étaient peut-être un peu laissés aller aux délices du « dialogue social ». A ce titre, la réaction la plus surprenante et la plus significative a sans doute été celle de la Confédération Européenne des Syndicats (qui n’est pas précisément le tenant d’en syndicalisme de lutte).

Son secrétaire général John Monks, qui fut un temps proche de Tony Blair, n’a pas hésité pour qualifier les conditionnalités imposées dans le cadre de la future gouvernance économique de « quasi-coloniales », et pour indiquer que le futur mécanisme de sanction ressemblait aux dispositions du Traité de Versailles [3]. Lors de son dernier congrès le 19 mai à Athènes, la CES s’est accordée pour se mobiliser contre la gouvernance économique du Pacte pour l’euro, en proposant la journée du 21 juin, en amont du Conseil européen du 24 juin, comme « journée d’action nationale ».

Il serait bien sûr tout à fait hasardeux d’imaginer qu’un tel faisceau d’initiatives soit synonyme d’une réelle convergence à venir pour les mouvements sociaux européens et nationaux autour de la question de l’austérité et de la gouvernance économique. Il est néanmoins clair que les choses semblent évoluer rapidement. Et ce même… au sein des formations politiques européennes de gauche d’ordinaire peu enclines à la critique de l’eurolibéralisme.

Enterrement sans gloire pour la « troisième-voie »

C’est le cas, semble-t-il, des sociaux démocrates européens, dont les compromissions passées ont mené à une impasse totale. « La social-démocratie est en crise. Nous sommes dans une situation catastrophique [4] » reconnait ainsi à bon compte Martin Schulz, président du Parti Socialiste européen. Pour lui, les socialistes européens se trouvent dans une situation doublement problématique. D’une, l’héritage de la « troisième voie » promue par Tony Blair, les rend en partie responsables de la situation actuelle en Europe. De l’autre, les gouvernements qui appliquent les plans d’austérité en Grèce, au Portugal, en Espagne, sont des gouvernements socialistes.

Martin Schulz évoque même une rupture forte avec cet héritage blairiste, comme condition d’une crédibilité retrouvée pour les socialistes ; ainsi que la nécessité de mettre en avant des perspectives alternatives qui tranchent avec les projets de « gouvernance économique » en cours d’adoption dans les institution européennes.

Dans ce sens, les Verts et le Parti Socialiste européen ont récemment publié un appel, « changeons l’Europe ». Un texte qui ne propose pas vraiment une rupture radicale avec le modèle actuel (à noter que parmi les alternatives proposées, la restructuration des dettes souveraines fait figure de grande absente), mais qui dénote peut-être un changement dans le sens d’un rapport plus critique vis-à-vis de la construction européenne.

Réelle ou non, la volonté affichée de mettre en place des alternatives aux politiques européennes actuelles, comme une fiscalité qui fasse payer les salaires élevés et le capital, ou un contrôle des excédents budgétaires autant que des déficits, pourrait par ailleurs rester longtemps sans conséquences au vu des équilibres politiques actuels au Conseil et au Parlement. Des vœux pieux qui portent néanmoins le germe d’une critique de l’un des piliers essentiels de l’eurolibéralisme : le culte de la sacro-sainte « compétitivité »…

Eric Scavennec

[1] « Une flammèche obstinée a embrasé la Guadeloupe », Monde Diplomatique Novembre 2009 : http://www.monde-diplomatique.fr/20...

[2] Trabajadores/as, desempleados/as, estudiantes, jóvenes, jubilados/as, hipotecados/as… no queremos permanecer impasibles ante todos los ataques y recortes que seguirán aplicándose, esta vez desde Europa. La convocatoria llega a una semana de la firma del Pacto del Euro, acuerdo que supondrá el empobrecimiento de la sociedad europea en beneficio de la banca y grandes empresas, con aumentos en la edad de jubilación, privatización del sector público y recortes de derechos a trabajadores, entre otras medidas. Es necesario movilizarse y parar este acuerdo. Lire sur le site de la plateforme Democracia Real Ya : http://www.democraciarealya.es/

[3] Lire la lettre de John Monks au Commissaire Olli Rehn : http://www.etuc.org/IMG/pdf/110111_...

[4] Entretiens réalisé à Strasbourg, le 7 juin 2011

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