mardi 14 juin 2011

Le Japon après-coup – Vision d’Hiromi Matsubara, leader de Surfrider au pays du Soleil Levant | Surfrider Foundation Europe Blog

Le 11 Mars 2011, un terrible tremblement de terre a dévasté le Japon. L’île a vu l’une des heures les plus terrifiantes de sa longue histoire. Dans un pays habitué aux tremblements de terre, les bilans sont conséquents tant en pertes humaines qu’en termes de dégâts environnementaux.

Sur son site officiel, Surfrider Japon maintient son optimisme dans un célèbre proverbe japonais : « Nana Korobi Yaoki » : « Tombe sept fois, relève toi huit ». Le peuple japonais apparait calme aux yeux des occidentaux, mais la réalité est toute autre. Comme si les sourires pouvaient effacer la douleur, c’est aujourd’hui un pays en pleine reconstruction.

Cette catastrophe naturelle met en avant plusieurs des préoccupations du programme anti-nucléaire de Surfrider Japon. Rappelons que la branche nippone a lutté pendant des années pour arrêter les rejets du réacteur de Rokkasho.

Rencontre avec Hiromi Matsubara, directeur exécutif de Surfrider Japon.

Hiromi, le 1 mai dernier, vous avez rencontré la communauté Surfrider de Sendai, quelles ont été vos premières sensations?

C’était très choquant et déprimant, même deux mois après le séisme et le tsunami. Je n’ai jamais été en zone de guerre ni même dans un camp de réfugiés mais cela y ressemblait. Tout était couvert de boue, de débris ; des maisons et des camions étaient éparpillés un peu partout et tout cela ressemblait à la fin du monde.

Les habitants se sont montrés très courageux et ont surmonté leurs peurs et soucis. Ils ont également été très accueillants au moment de notre visite. Si ce que je voyais m’a beaucoup émue, j’ai également été très touchée par leur accueil et leur en suis très reconnaissante.

Les événements de Mars ont-ils profondément modifié la face du Japon? Ces changements sont-ils à échelle nationale ou seulement régionale (dans les zones touchées)?

Certains changements sont profonds, en particulier les plages au Nord, près de Sendai, Fukushima et Miyagi. Personne ne sait à quelle vitesse les plages peuvent être nettoyées ni même s’il y a des chances que nous allions surfer sur ces plages à nouveau. Personne ne le sait pour 4 raisons.

  1. Premièrement la priorité pour les habitants est de survivre et de maintenir leurs conditions de vie. Les zones résidentielles viennent en premier. Nettoyer les plages, pour le surf, perçu comme un pur plaisir, n’est pas une priorité pour une majorité de la population et nous devons respecter cela.
  2. Deuxièmement, il y a une pénurie importante de bénévoles, de ressources et de financement pour être mettre en œuvre des nettoyages le long des plages et des côtes.
  3. Troisièmement, il y a beaucoup de débris qui flottent ou ont coulé. Je pense que c’est un point crucial pour Surfrider. D’importants morceaux de métal dépassent du sable comme des voitures ou des camions, probablement enterrés ou coulés dans le tsunami. Personne ne le sait, à moins de plonger et vérifier sous l’eau.
  4. Quatrièmement, il n’y a pas que des débris, les canalisations ont également été fortement endommagées et beaucoup de matériaux toxiques et de pollution se sont infiltrés dans les océans. La qualité de l’eau n’est donc plus suffisante pour surfer.
  5. Ces multiples raisons expliquent les profonds changements sur les plages locales.

À travers le Japon, de par la situation encore dramatique des plages locales dans le Nord après un mois et demi, les surfeurs nippons sont toujours dans une sorte de deuil. En signe de respect envers les victimes du Tsunami, ceux-ci ne sont pas certains de se baigner ni de surfer dans cette eau. Les surfeurs pourraient être considérés comme stupides, ignorants et irrespectueux pour aller dans l’eau, comme nous sommes encore à expérimenter les conséquences. Certaines personnes sont très prudentes pour le surf. En plus de cela, la pollution de l’usine nucléaire de Fukushima est toujours d’actualité. Certaines personnes ont réalisé des tests de radioactivité dans l’eau. D’autres comptent sur les sources gouvernementales ou officielles et pensent que cela est sûr. C’est pourquoi les gens ont commencé à retourner dans l’eau. Mais il y a une phobie nationale et une théorie de conspiration entourant la sécurité de l’eau et comment les déchets radioactifs peuvent affecter la santé humaine dans le long terme. Cela a aidé la sensibilisation et la prise de conscience de l’importance de l’énergie nucléaire et de ses dangers, pouvant causer des dommages importants tant sur terre qu’en mer.

Les photos sont frappantes, mais quelles solutions peut-offrir la communauté internationale aujourd’hui pour freiner ce problème?

Bien sûr, nous apprécions la générosité et le soutien en général, non seulement de Surfrider international, mais de donateurs individuels et des nombreuses personnes qui nous ont soutenus à ce jour. Nous voulons être en mesure d’aider non seulement sur du court terme mais aussi sur du long terme.

Une des stratégies et des missions de Surfrider est de tester la qualité de l’eau, comme nous l’avons fait pendant de nombreuses années. Mais maintenant, avec cette crise, nous sommes confrontés à la menace des déchets radioactifs, et les essais sont devenus extrêmement dangereux. Mais mener ces essais, soit dans un laboratoire ou sous la supervision d’experts ainsi que les recherches et négociations coutent très cher étant donné que les déchets radioactifs ne sont pas un matériau toxique ordinaire. Et si nous étions accusés d’atteinte à la population? Surfrider ne peut pas prendre ce risque ou ne dispose pas actuellement de l’expertise nécessaire pour garantir la sécurité et la qualité des eaux de baignade.

Il ya une grande demande et un besoin réel pour Surfrider d’agir et de poursuivre les tests de qualité de l’eau ainsi que l’amélioration de ce système. Notre mission est maintenant d’essayer d’étudier et de travailler avec des experts et autres tierces parties pour parvenir à faire des essais sur la qualité de l’eau.

Le soutien financier est sûrement l’aide la plus important que nous pourrions demander à la communauté internationale. En France peut-être, notamment du fait que vous êtes vous aussi un pays nucléaire, tout matériel, d’information, de sensibilisation ou programme pourrait nous aider à en finir avec cela.

Dans le court terme, nous avons encore besoin de beaucoup d’aide et de bénévoles pour le nettoyage et en ce sens, de fonds.

Les événements liés au réacteur de la centrale de Fukushima ont mis en évidence le problème nucléaire. Dans l’ensemble du réseau international de Surfrider, Surfrider Japon a le programme le plus avancé quant au domaine du nucléaire (Notamment avec Rokkasho). Ces évènements ont-ils renforcé votre position anti-nucléaire ?

C’est encore une discussion en cours avec les militants de Surfrider Japon. Même lorsque nous étions très actifs sur la campagne de Rokkasho, les personnes de notre organisation se demandent dans quelle mesure nous sommes prêts à aller sur ce sujet, comme nous ne sommes pas une organisation anti-nucléaire. Bien que nous appuyions ce positionnement, notre propre activité mais notre mission n’est pas anti-nucléaire.

La question nucléaire dans son ensemble est très complexe et politiquement orientée, donc plus nous avons mis notre énergie dans la question, plus nous pourrions être confondus . Les bénévoles ont consacré beaucoup de leur temps et de leur énergie, mais les réactions du gouvernement ou de tout parti politique ont été très déprimantes.

En attendant, la centrale de Fukushima a explosé et malheureusement la TEPCO (Tokyo Electric Power Company) a déchargé une grande quantité d’eaux usées toxiques dans l’océan, ce qui a causé beaucoup de tensions.

Le gouvernement a été accusé en raison de ses lignes directrices inadéquates et le processus d’urgence, dans les événements d’un séisme ou un tsunami. En conséquence, les déchets radioactifs ont été déversés dans l’océan sans aucun préavis à la communauté internationale et les îles voisines de la Corée, la Chine et la Russie, et encore plus loin dans l’océan Pacifique pour atteindre la côte ouest de la Californie et Hawaii. Elle a conduit à un grand débat et à un rapport accablant sur le gouvernement japonais, qui a été accusé d’avoir pris des mesures irresponsables et détruit la biodiversité marine et l’environnement océanique.

Les surfeurs ont maintenant pris conscience qu’il ya beaucoup de centrales nucléaires au Japon et que la plupart d’entre elles sont situées près de l’eau car les réacteurs ont besoin d’eau pour être refroidis.

Encore une fois, notre mission n’est pas anti-nucléaire. Après le tsunami était de dire la vérité à tous nos sympathisants, le risque de mener une politique d’énergie nucléaire et les alternatives (énergies durables et renouvelables). Il y a plusieurs façons pour les gens de vivre sans l’énergie nucléaire, en collaborant avec d’autres ONG de développement des énergies renouvelables par l’éducation et le développement de la conscience sur l’énergie et d’où elle provient. L’éducation est probablement notre principale stratégie pour faire face à l’industrie nucléaire, et pas seulement pour sensibiliser mais aussi pour créer des kits éducatifs pour les enfants.

Pourquoi as-tu été bouleversé par les réactions du gouvernement quand tu as voulu t’impliquer d’avantage sur ce sujet ?

Les chefs de gouvernement japonais ne prennent pas de risques, ne prennent pas d’engagement. Dans tout ce qu’ils disent, ils utilisent des termes très confus ou très technologiques pour nous tromper et ainsi détourner notre attention.
C’est pourquoi les mouvements à l’initiative des citoyens sont limités dans ce pays, alors que la France a des droits civils, des mouvements de protestation, de lobbying et des manifestations. Cela ne fonctionne pas de la même façon au Japon.

La réaction du gouvernement japonais a été jugée mauvaise. Personne ne dit la vérité, personne n’est prêt à prendre de risques, il manque un véritable leadership. Un grand nombre de citoyens ont pris conscience que nous ne pouvons plus compter sur un gouvernement qui nous ment. Les journaux, la télévision, les médias de masse sont faux. Les gens qui ont accès à Internet, à la technologie et à toutes les ressources mondiales savent que le gouvernement n’est pas fiable dans la plupart des cas.

Les informations que nous avons eues étaient très vagues et les médias européens ont tenté de joindre des citoyens japonais pour obtenir plus d’informations. Il y a eu un grand débat sur la façon dont l’information est couverte et diffusée. Il a souvent était rapporté que la communauté japonaise avait réagi très calmement, une annonce assez surprenante.

Vous n’avez pas vraiment besoin d’aller sur des manifestations pour faire entendre votre voix sur certaines questions. Dans un sens c’est une bonne chose parce que nous sommes un pays très homogène et les gens ont vécu de cette façon depuis des siècles en se respectant les uns les autres et c’est la beauté de notre culture. Mais ce n’est pas le cas aujourd’hui ; les gouvernements et les politiciens essaient d’appuyer sur la question du nucléaire. Une chose qui est claire et a choqué tout le monde est le problème de la zone d’exclusion par rapport à la centrale de Fukushima. Un niveau très élevé de radiation a été détecté dans les légumes et les sols dans le nord et le gouvernement a annoncé qu’ils allaient utiliser ces cultures et ces légumes pour les repas scolaires. Cela correspond potentiellement à tuer des enfants ; les parents et personnes concernées cherchent donc à faire entendre leur voix par des actions de lobbying envers le Ministre de l’éducation.. Mais personne n’est allé dans la rue, personne n’a signé leur pétition. Cela a été largement rapporté dans les médias indépendants, mais pas dans les médias de masse. Les gens là-haut n’ont pas vraiment accès à Internet, à des outils technologiques ou aux médias sociaux tels que Facebook ou Twitter. Tout ce qu’ils ont ce sont les journaux et la télévision. Ils ne savent pas que c’est très dangereux de vivre ici, il leur est dit que cela n’aura pas un impact immédiat sur leur santé. Peut-être que c’est plus sûr pour les adultes, mais ce n’est pas la cas pour les enfants, les bébés et femmes enceintes, c’est juste une question de vie ou de mort.

Ils acceptent simplement l’état des choses et croient en la force de la nature. Mais il est temps de briser ce calme. Il est temps de dire la vérité. Nous devons réagir et amener des gens engagés et mobilisés, et se déplacer ensemble dans la bonne direction. C’est une chose culturelle. Les Japonais ne sont pas habitués pour s’adapter aux changements, ils veulent maintenir leurs affaires comme d’habitude.

Quels défis doit surmonter Surfrider Japon après cet évènement ? Comment Surfrider Japon va s’organiser? Quelles sont les priorités à traiter?

A mon avis, en tant que directrice exécutive de Surfrider Japon, nous devons poursuivre notre mission, qui consiste à protéger les océans, les vagues et les plages pour le plaisir de tous. Nous devons aussi être fiables et transparents dans tout ce que nous faisons car après le tsunami et le séisme, beaucoup de gens nous ont soutenu que ce soit financièrement ou en devenant membres. Tous les jours je reçois des courriels demandant: «Est-il sûr d’aller dans l’eau? Pouvez-vous tester la qualité de l’eau? Comment puis-je vous aider? »

En tant qu’organisation, nous avons acquis une certaine reconnaissance auprès des surfeurs. Nous devons maintenir une position très transparente et responsable et juste nous engager et communiquer auprès de tous les individus qui nous ont montré leur énergie et leur volonté de s’engager à nos côtés. Nous ne pouvons faire qu’une seule chose à la fois,, nous sommes une petite organisation, avec des ressources et des financements limités.

Il ya des petites choses que nous pouvons faire comme du bénévolat pour nettoyer les plages. En tant qu’organisation, nous devons être responsables de ce que nous faisons, car chaque centime que nous dépensons provient d’un donateur individuel, de subventions ou d’entreprises partenaires.

Il y a de nombreuses questions auxquelles nous devons faire face mais nous avons constaté un réel engouement avec une augmentation du nombre de membres, des fonds et donations après le séisme. Il nous faut rester prudents quant à ce que nous annonçons, la stratégie que nous avons choisie et nos priorités.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire