Mon scénario pour l'avenir, interview de Nicolas Hulot:
Propos recueillis par Gilles Luneau pour le n°1 de WE DEMAIN, une revue trimestrielle pour changer d'époque (avril 2012)
Vacuité du débat public, absence de vision, cinq ans après le Pacte écologique qu'il avait fait signer à tous les candidats à la présidentielle, celui qui reste l'une des personnalités préférées des Français constate que "rien ne s'est passé". Pour la Planète, nous dit-il, il est vital de faire le choix politique d'une véritable révolution énergétique et d'inventer un nouveau modèle qui verra la fin de la crise de l'excès, au bénéfice d'une société d'abondance frugale.
WE DEMAIN : Quel regard portez-vous sur la campagne présidentielle ?
Nicolas Hulot : J'ai fait mon deuil de cette campagne. Elle est d'un conformisme terrible. C'est un show, avec les machinistes que sont les médias, les spectateurs que sont les citoyens, et les acteurs que sont les politiques. Personne n'a une vision porteuse. Normalement, une campagne sert à redéfinir les fins et les moyens, à redonner une vision d'ensemble, à éclairer un horizon. Qu'est-ce que Sarkozy et Hollande proposent comme horizon ?
Quelle est votre analyse de la situation ?
NH : Je suis consterné par la vacuité du débat public, par le peu d'intelligence collective en politique. Tous les paramètres ont changé et on n'entend pas d'analyse objective du pourquoi nous en sommes arrivés là. À quel moment a-t-on perdu la main ? Pourquoi les crises se multiplient et s'accumulent ? Est-ce bien le rôle des banques privées de prêter aux États ? Ne serait-ce pas plutôt le rôle des banques centrales ? Comment anticiper sur la raréfaction des ressources, des matières premières ? Quel est le sens du progrès ? Du travail ? D'une entreprise ? Voilà des sujets tabous, dont on ne parle pas dans la campagne présidentielle. Or, pour moi, ce sont des sujets centraux. Tout le reste, ce sont des amuse-gueules. Quand on regarde la mondialisation actuelle et la construction européenne, on est en train de bâtir un modèle qui ne tient pas du tout compte des nouveaux paramètres. Toute notre économie repose historiquement sur l'exploitation des ressources naturelles. Or le siècle, si on continue avec une telle croissance, consacrera l'épuisement de 90% des matières premières. Personne ne veut regarder cette réalité en face. Cinq ans après le Pacte écologique, il ne s'est rien passé. Que font-ils, dans les partis politiques ?
Les élites politiques seraient-elles aveugles ?
NH : J'entends bien que l'équation est difficile. L'économiste Tim Jackson la résume très bien : « Pour un économiste, freiner la croissance est une hérésie. et pour un écologiste, l'encourager est une aberration.›› Ce simple énoncé pose toute la complexité de l'exercice. Ce n'est pas pour autant qu'il faut l'ajourner ! Non seulement on l'ajourne, mais on le refoule. Je suis frappé par cette capacité d'auto refoulement des élites économiques et, plus encore, des élites politiques. Chez nous, gauche-droite confondues, les politiques sont tous à allumer des cierges pour que la croissance revienne. Or la croissance telle qu'on la connue ne reviendra pas.
C'est une rupture avec notre mode de vie : on dépasse les questions environnementales. Jeremy Rifkin parle d'un autre modèle, d'une «économie latérale»... n'est-ce pas utopique ?
NH : C'est là où je rejoins Théodore Monod, qui disait que « L'utopie, ce n'est pas ce qui est irréalisable, c'est ce qui est irréalisé.›› Aujourd'hui, il faut s'ouvrir à l'irréalisé. Sinon, on est dans cette schizophrénie où l'on s'étonne qu'en faisant juste un peu plus ou un peu moins de ce qu'on faisait précédemment, rien ne change.
Qu'est ce qui pousserait à réaliser l'irréalisé ?
NH : La Planète atteint un point de rupture physique. Le capitalisme atteint un point de rupture psychique. C'est à la fois mon espoir et mon inquiétude. Je m'explique. Les inégalités ont existé depuis que l'homme existe. Le système égalitaire n'existe pas. Mais le système équitable, on peut y tendre. En Europe comme en France, les inégalités se creusent. Pour faire court, les plus pauvres sont de plus en plus pauvres et les plus riches, de plus en plus riches. Nous sommes dans un monde connecté, ouvert, où chacun peut lire le jeu de l'autre. À l'inégalité, voire à l'exclusion, s'ajoute un élément explosif qui est l'humiliation. On condamne les plus modestes à une double peine.
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